Liza Fetissova : La Photographie Comme Point d’Ancrage

Marie-Line Tassius • 7 juin 2020

Liza Fetissova vous êtes femme, mère, étrangère en France, galeriste.. en quoi toutes ses expériences simultanées influencent votre vision artistique ?

Le plus on est multiple, le plus on est riche en perceptions et réactions. 

Je crois que ces « rôles » (je vois cela plus comme un rôle qu’une expérience) me servent doublement. D’un côté, cela me donne de l’ouverture d’esprit, cela élargit mon horizon, et cela nourrit ma réflexion quotidienne d’une sensibilité particulière, multiple, pluridisciplinaire. Et, de l’autre, ce qui vient comme une conséquence de la première influence, c’est que je suis capable de mieux entendre et comprendre l’autre, me mettre à sa place, respecter son point de vue. En tout cas, j’y travaille… 

Je pense cette capacité de se multiplier et écouter les voix divers est indispensable pour percevoir, comprendre et vendre l’art. 

Pourquoi avoir choisi la photographie ? qu’est ce qui vous touche dans une photographie ?

La photographie est un medium malin. Derrière sa simplicité trompeur (tout le monde peut appuyer sur le bouton, tout le monde est photographe), et son langage plastique accessible, se cachent les possibilités d’interprétations infinies, de la force visuelle renversante, un/des message/s profond/s. Il faut savoir les extraire, en profiter. Cela me séduit, je trouve que la photographie (contrairement à la peinture, un artifice à 100%) explique l’humain et le monde mieux que les autres médiums. 

J’en ai besoin physiquement. Encrée dans le réel (je ne parle pas de la photographie conceptuelle ici.. quoique …), elle est une passerelle parfaite qui me lie avec ses sujets le plus directement, ainsi elle me nourrit, mon être le plus profond. Elle me sert de miroir de mon âme… Testez par vous-même!

Ce qui me touche ? Je sens le monde, les feuilles, les êtres trembler, quand je regarde une bonne photo. Je sens leur respiration, leurs doutes, leurs questionnements. La photographie réveille en moi une poète. Elle me donne de la force, elle m’apprend à voir. 

Que cherchez à transmettre, à montrer à votre public ?

Je veux que la personne, qui entre pour voir une exposition que j’ai conçue, en ressorte avec une température de corps changée. Que cela lui apprenne quelque chose sur elle-même et/ou sur le monde. 

Parlez nous de votre rapport à l’accrochage et les artistes...

La plupart des artistes avec qui je travaille sont loin, presque tous en Russie. Rarement ils sont présents au vernissages de leurs propres expositions – et après le Covid, c’est un mot d’ordre.. Alors, ils me laissent la liberté de présenter leurs œuvres. Et comme on sait qu’une œuvre, dès qu’elle sorte à l’air libre, se retrouve dans un contexte, en voisinage avec les autres œuvres (du même ou d’un autre artiste), dans une salle spécifique devant un public spécifique. Je deviens donc une interprète des œuvres des artistes. Et l’accrochage, c’est un processus magique, qui peut parfois me dépasser et donner un résultat inattendu.  

Je sais faire un accrochage classique, que j’appelle « un livre sur le mur » (quand les œuvres, souvent dans une exposition personnelle, sont disposées sans plus, et on pourra voir ses images dans un livre ou sur internet –qu’est-ce que nous apporte un tel accrochage ? ) - mais j’essaie de l’éviter. 

J’aime raconter une histoire, créer un récit polyphonique, avec les œuvres, à travers les œuvres. J’aime faire les accrochages serrées, à l’ancienne, les œuvres se parlent, dialoguent, sans se bousculer, mais parfois en contrepoint à l’une l’autre. Ce qui crée de la tension, du questionnement, vous fait voyager plus loin élargit le champ sémantique de chacune et de l’ensemble. 
Ma plus grande réussite, c’est l’exposition « De la part de babouchka », très personnelle, ou mes moi (s) de l’étrangère, mère, femme, galeriste se sont mélangés parfaitement, et les œuvres se sont assemblées d’une manière cohérente, invitant le spectateur à se positionner personnellement dans le récit : en savior plus.
Credit: Phographies © Antanas Sutkus 

Donne libre cours à une opinion, un coup de gueule...

Oh, je peux en donner un certain nombre. Si on parle de mon domaine, cela m’attriste que souvent les marchands qui réussissent le mieux ce sont ceux qui proposent des œuvres plus que médiocres. Je suis en colère de voir ce processus de nivèlement par le bas, général, qui embrasse le monde de l’art. Que ces magasins-galeries vendent de la très mauvaise photographie ou peinture, tape à l’oeil, qui est un tapis sur le mur, à aller avec la couleur des rideaux et la forme de la pièce, et ils appellent ça l’art. Bas les pattes ! 

Actualité de Liza Fetissova

Exposition photographique : "Je t'aime" d'Antanas Sutkus

56 bd de la Tour-Maubourg 75007 paris | 6 mars — 27 juin | Mardi-Samedi, 14-19h

En voire plus : La Chaîne de Liza Fetissova


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