Visite du Quai Branly : Escale en Afrique

Ghislaine Molodstof • 6 février 2024

Aperçu des collections africaines du Musée du Quai Branly le 6 février 2024 avec notre conférencière Marie :

Ce Musée, conçu par Jean Nouvel, à l’initiative de Jacques Chirac, a ouvert ses portes en 2006, dans le but d’établir un dialogue entre les cultures extra-européennes et la France.

La « section » Afrique nous accueille avec la pierre-lyre de Soto, Sénégambie ; ce mégalithe vieux de plus de 1000 ans, parmi d’autres, aurait eu, comme nos menhirs bretons, un rôle astronomique. Il a été déposé en 1967, par le Président sénégalais Sédar Senghor à l’ancien Musée des Arts Africains et Océaniens, en échange de 12  tapisseries d’Aubusson, dans le cadre d’un protocole de prêt réciproque.


Marie nous présente ensuite, après nous avoir baignés dans le parfum de fleur d’oranger, les poteries, modelées à la main, par les femmes Kabyles d’Algérie ; ces poteries, sont couvertes de symbole de fertilité et le portrait d’une de leurs créatrices la présente avec toute une parure de bijoux en argent.

 Dans ces régions du Maghreb (Algérie, Maroc, Lybie, Egypte), l’argent est LE métal précieux ; on lui prête en outre des vertus prophylactiques (qui prévient des maladie) et donc il porte chance. On lui adjoint parfois le corail, rouge comme le sang, le sang, c’est la vie ! la fécondité… les parures comprennent des diadèmes, des pendants de voile, des torques & colliers, des fibules, dont les tabzimt, des bracelets de poignets et de chevilles. Ces parures, qui peuvent peser de 3 à 5 kgs, au total, constituent, par ailleurs, la dot de la mariée. Les tabzimt sont également offerts pour les naissances, plus grandes, s’il s’agit de garçons ! Parmi les motifs décoratifs de ces parures : la main de Fatma : symbole commun aux musulmans et aux israëlites (main de Myriam) représentant : les 5 doigts de la main, les 5 piliers de l’Islam, les 5 livres sacrés de la religion juive ; elle peut aussi être ornée d’un œil en son centre, pour conjurer le mauvais œil.


 Nous découvrons ensuite un khalaqa, robe de fête de Jordanie, de 1920, ½ coton,1/2 soir, aux dimensions extraordinaires ; elle se revêt de façon très élaborée, afin de laisser les broderies du bas apparaître sous les 3 épaisseurs superposées, retenues par une ceinture ; ses manches proportionnées, en pointe, servent aussi à couvrir la tête, et peuvent, nouées ensemble, dans le dos, être utilisées pour porter un jeune enfant.

 Marie nous présente après cela la culture très particulière des Touareghs, en nous présentant les accessoires pour les meharis (dromadaires) : sac, coussins et tapis de selle de cuir, décorés par les femmes, qui y représentent les tentes (elles-mêmes ! le mot est le même en tamasheq (tamazirt, langue des Berbères du Maroc)) par des cercles de couleur bleu-vert : LA couleur des Touaregh ;

 La sociéte touarègue, vivant en Algérie, Maroc, Mali, Niger et Lybie, ne dépend pourtant d’aucun de ces pays ; elle est, en outre, matrilinéaire : la femme, qui est maîtresse et propriétaire de la tente est, d’après la cosmogonie, à l’origine de la vie, associée à une goutte d’eau ; l’homme associé à la zone où cette goutte d’eau s’est répandue, n’est propriétaire que du bétail et responsable de l’activité commerciale ; en effet, les Touareghs ont été, de tout temps, des passeurs sur les routes commerciales, y compris pendant le commerce triangulaire des négriers. (sel, indigo, esclaves...). De moins en moins nomades, leurs deux grands centres sont Tamanrasset et Agadès. Ils ont une langue, une écriture et une religion particulières ; ils sont majoritairement monogames.


 Nous entrons ensuite dans la salle, très haute de plafond, abritant les masques Dogons du Mali.

 Les masques, éléments communs à toutes les cultures du monde, revêtent en Afrique un rôle très important ; ils sont sacralisés ; quand le danseur (seuls les hommes tiennent ce rôle) revêt le masque, il incarne ce que ce dernier représente (lapin sautillant, singe intelligent…)

Le masque le plus haut (et, peut-être, le plus lourd, 5 à 6 kilos) sirigé, représente une maison à multiples étages, symbolisant le grenier où sont placées les récoltes ; le danseur le maintient par un embout qu’il serre entre ses mâchoires et doit lui faire toucher terre, tantôt en avant, tantôt en arrière, sans le brise, ce qui serait de très mauvais augure pour les récoltes de l’année suivante.

Les masques, têtes en bas, kanaga, sont des renards pâles morts ; ils sont portés, « animés », lors des cérémonies de lever du deuil : dama ; on raconte que le dieu awa avait modelé un œuf et, l’ayant fait éclater, a créé tout ce qui est au monde, les éléments, les animaux, les végétaux, les terres et les océans, le bien et le mal…. Seul Yurubu n’avait de complément, de double ; pour palier ce manque, il a fini par créer la mort ; le dieu awa, pour le punir, l’a transformé en renard et lui a coupé la langue ; sans langue, il ne pouvait plus ni parler (transmission orale vitale) ni boire ; il est donc mort, d’où la tête en bas et les 4 membres étalés.


 Un peu plus loin, nous admirons 3 statuettes de Maternité, de Côte d’Ivoire, du début du XXème siècle, dont une, dont nous connaissons l’auteur : Zlan de Béléwalé (Libéria) ; elle a été commandé par un notable de Côte d’Ivoire, en hommage à sa femme défunte. Archétype de la beauté : jambes puissantes, coiffure élaborée, poitrine lourde (elle porte un jeune enfant dans son dos), portant scarifications d’identité, sandales et bijoux de haut rang.

 Nous entrons ensuite dans une salle présentant :

2 têtes géantes, en bronze à cire perdue, du Royaume du Bénin (envahi par l’empire britannique en 1897, auj au Nigéria), de la fin du XVIIIème s, peuple Edo ; surmontées d’immenses défenses d’éléphants sculptées (1 défense devant être fournie, en impôt, par les chasseurs, pour chaque animal abattu), elles servaient d’ornements aux autels dédiés aux ancêtres des souverains.

 Des figurines, sexuées, par 2, 3 ou 4…. , de même provenance, mais de la fin XIXème/début XXème s ; si les naissances multiples, selon les pays et les époques, sont tantôt très appréciées, tantôt très mal vues, le peuple Yoruba, après une longue période, où on ne gardait en vie qu’un enfant, supprimant même parfois la mère (impure, sorcière ?), confrontés à un problème démographique et, peut-être après une naissance multiple, chez le roi lui-même !, a cessé de les sanctionner. Par contre, si l’un ou plusieurs venait à mourir, il semblait indispensable, pour protéger le/les survivants de créer un substitut, pour éviter que le mort ne vienne chercher son/ses frères ; ce sont ces ere (image sacrée) ibeji (né double).

 Marie nous rappelle, qu’en Occident, les femmes accouchant de jumeaux ou plus, étaient considérées, et traitées comme sorcières au Moyen-Age et à la Renaissance.


 Nous finissons ce trop rapide tour d’horizon par une sculpture en bois : Reine porteuse de coupe, du Cameroun, population

Bamiléké, du XIXème siècle. Le bois est recouvert d’un tissu brodé de perles multicolores ; l’art du perlage est caractéristique de l’art de Cour Bamiléké.

 Ces perles sont un signe de puissance et de richesse, puisqu’elles viennent de Murano ; on peut penser que ces perles ont d’ailleurs été payées avec des esclaves. La verroterie vénitienne représentait entre 1/3 et ¼ des marchandises embarquées par les navires négriers, au départ des ports européens. Les esclaves étaient ensuite embarqués pour les Caraïbes et le Brésil, voués aux travaux forcés et échangés contre des denrées coloniales, rapportées vers l’Europe

 La statue porte aussi des cauris, réservés à la famille royale au Cameroun. (les cauris ou monetaria moneta, ont également servis de monnaie, tant en Chine 1500 ans avant JC, que, plus tard dans une grande partie de l’Afrique et de l’Océan Indien). Aujourd’hui encore, certains états africains les utilisent en complément du franc CFA.

Son trône, porté par une panthère  rappelle son pouvoir de se transformer, ad libitum, en panthère, comme le roi, lui, peut le faire en éléphant.


Autres articles...

par Phoebe Wilson 14 novembre 2024
The Canopy gallery opens its doors to the Danish native artist Charlotte Haslund-Christensen with an exhibition dedicated to her 2009 work titled “WHO’S NEXT?” The open-ended question raises the issue of the stigmatisation and criminalisation of LGBTQ people internationally through the medium of photography. The exhibition is comprised of 40 portrait photographs of LGBTQ people lined up on the walls of the gallery space. Charlotte Haslund-Christensen had undertaken the approach of making them resemble mugshots. This conveys the image of these people being the criminals they would be considered to be in the 76 countries where same sex relationships are illegal.

par Evelyne Lacoux 14 novembre 2024
L’expo photo « Who’s next ? » , annoncée à la Galerie Canopy, ne m’inspire pas à priori. J’y vois des personnes prises à la manière anthropomorphique des commissariats de Police, méthode inventée par le français Bertillon à la fin du 19 ème siècle. De quoi sont-elles coupables ? Qu’a voulu dire la photographe Danoise Charlotte Haslund-Christensen ?

par Patrick Mallet 15 mai 2024
Qu’est-ce qu’un homme ? C’est à cette question que nous invite à réfléchir la pièce Zoo ou l’assassin philanthrope, adaptation théâtrale de son roman les Animaux dénaturés, écrite en 1963 par Vercors et présentée au Théâtre de la Ville dans une version revue par Emmanuel Demarcy-Mota et Dorcy Rugamba. La question pourrait paraître simple, l’homme est un être appartenant à l’espèce des hominidés. Et s’il persistait encore une autre branche des hominidés moins évoluée que la nôtre (les homo sapiens) ? Ses membres seraient-ils hommes tout comme nous ? Ou serait-ce des animaux ? Où se situe la frontière homme, animal ? La conscience , les sentiments, les émotions, ont longtemps été considérés comme le propre de l’homme mais les travaux plus récents ont montré que ce sont aussi l’apanage des animaux. Alors ? Alors, lors d’une expédition en Nouvelle-Guinée, des paléoanthropologues rencontrent des êtres primitifs, qui semblent être une autre espèce d’hominidé qui aurait survécu. Sont-ce des primates ou des hommes ? Pour y voir clair, un membre de l’expédition décide d’être le géniteur par insémination artificielle de l’enfant d’une « femelle » de ces êtres, de tuer le nouveau-né et de se dénoncer à la police. Son procès, auquel nous assistons, devra permettre de trancher la question. Le spectacle, non dépourvu d’humour, remarquablement mis en scène et interprété , très esthétique de par l’usage de masques d’une grande beauté figurant des animaux et du travail de lumière, bouscule nos repères et nos idées reçues en la matière. Nous en sortant à la fois ravis du bon moment passé et en proie à un questionnement multiple. Patrick Mallet
Show More
Share by: